mercredi 9 juillet 2008

Le psychomètre

Brèves de Mediscoop, par le Dr Marie-Elisabeth Sanselme-Cardenas
La presse médicale au scanner


Psychomètre! Demandez (?) le psychomètre! C’est moins cher et plus reproductible que le psychologue! Il mesure à votre service! Il vient de sortir!

Psychologue! Gardez le psychologue! Il apprenait en théorie et en pratique à reconnaître les personnes en difficultés, en souffrance et à les soutenir.

Psychanalyste! Peu connu, faites-le connaître! Pour le moment encore, il apprend longuement à vous écouter, à vous entendre, vous, l'être rationnel et le sujet de l'inconscient. Il sait ce dont il s'agit, il connaît la souffrance.

Psychiatre! Ne le jetez pas! Il a longuement appris à diagnostiquer les maladies, à en faire le diagnostic différentiel, et à les traiter par toutes les voies qui mènent à la diminution de la souffrance.

Alors, psychothérapeute! De l'escroquerie? L'ignorance du sens des racines grecques? Une façon d'égaliser les "psy" en tirant vers le psychomètre : mais alors, la mesure de votre psychisme serait une thérapie?

« Les psys vent debout contre un projet de décret » Le Figaro
Le Figaro note en effet que « les professionnels ont critiqué, ce week-end [lors des Entretiens francophones de la psychologie, à Paris], le nouveau texte destiné à réguler l’exercice de la profession de psychothérapeute. Ils redoutent l’instauration d’une formation sous-qualifiée ».
Le journal note ainsi qu’« aux dernières nouvelles, la publication d’un arrêté concocté par la commission nationale de l’enseignement supérieur et le ministère de la Santé serait imminente ».
Le quotidien cite le psychologue Philippe Grosbois, chargé de mission « psychothérapie » à la Fédération française des psychologues et de psychologie, qui déclare : « Ces deux instances nous proposent une protection de très bas niveau, à savoir un niveau bac + 3 assorti de 400 heures de formation clinique et théorique en psychopathologie et 5 mois de stage en tout et pour tout ».
Le Figaro rappelle qu’« actuellement, un psychologue doit au minimum suivre un cursus de 5 ans à l’université assorti de nombreux stages, et les psychiatres, après leurs 8 années de cursus médical, doivent se former durant 4 ans et bientôt 5 entre l’hôpital et les cours théoriques ».
Le Dr François Kammerer, président de l’Association française de psychiatrie, déclare quant à lui que « ce texte est un véritable camouflet pour nous psychiatres ».
« Ce qui manque à ce projet, c’est l’obligation d’une formation clinique et théorique suffisamment solide. Plus grave, les futurs psychothérapeutes risquent de faire preuve d’une absence totale de regard critique vis-à-vis de l’ensemble de la connaissance et des savoirs et d’être dépendants de l’institution qui les aura formés »,
poursuit le praticien.
Le Dr Thierry Jean, psychiatre et psychanalyste, de l’Association lacanienne internationale, voit ainsi derrière ce projet « l’influence grandissante d’instituts de formation privés qui se sont lancés dans ce juteux créneau tout en soulageant la trésorerie de l’Etat ».
Le Dr Kammerer déclare à ce propos : « Je crains que de tels thérapeutes, qui n’auront pas acquis un niveau de réflexion personnelle suffisant, soient des appliquants ou de simples techniciens ».

Il a fallu près de vingt ans pour arriver à supprimer la clinique dans beaucoup de facultés et dans beaucoup de lieux d’enseignement de la psychologie. Il a fallu près de vingt ans pour arriver à rationaliser la psychologie en introduisant des mesures précises, des comportements et des situations standards bien définis, et une exigence des résultats attendus digne d’une science dure. Et maintenant la seule absence d'un décret d’application pourrait bloquer la situation de tous ces enseignants et de tous ces tenants de la psychologie expérimentale? Ils n'aiment d'ailleurs plus ce mot et préfèrent avoir l’assurance de leur savoir d’où le nom de psychologie cognitive et comportementale. Ce n'est malheureusement pas sûr et la situation serait bien en passe d'être débloquée!

Laissons l'ironie. Heureusement ceux qui se battent pour défendre la psychologie clinique, celle qui s’intéresse à l’être humain dans ce qui le différencie des autres espèces, mais aussi à l’être humain en tant que seul parmi tous les autres hommes à être lui-même dans sa singularité de parole, d'expression, de vécu, singularité aussi réelle que sa singularité génétique, heureusement tout ceux qui s’intéressent à lui se battent pour qu’on ne puisse pas l’assimiler à un simple objet d’étude, à un simple objet de prévision, à un simple objet de comportement à définir ou à redresser. Ils se battent parce que c’est la liberté du sujet qui est en jeu, parce qu’il s’agit de préserver non seulement sa liberté d’expression, mais sa liberté de vivre, sa liberté de souffrir, d’exprimer sa souffrance et de trouver quelqu’un pour simplement l’entendre avec lui ou pour l’aider.

Les psychomètres n’auront pas besoin d'écouter, de réfléchir, de mettre en relation tout ce qui peut concourir à l’explication de la vie d’une personne, n’auront pas besoin de comprendre ou de chercher à faire comprendre le sujet. Ils n'auront pas à se remettre en question, à faire une critique de leur travail, à se remettre en cause face à la clinique qui s'impose pourtant bien concrètement aux psychologues. Les psychomètres auront des solutions simples, rapides, efficaces, pour toutes les situations compliquées qui seront ramenées à des situations plus simples grâce aux grilles dont il suffira de cocher les cases. Il leur a fallu plus de vingt ans pour arriver à rendre ces grilles aussi performantes et capables de dire si vous êtes dans ce que l’on peut appeler la norme ou si vous êtes à une déviation standard, à deux, voire franchement anormal.

Se trompe-t-on de but? N’est-ce pas pour aider les patients que les psychologues sont faits ? Les psychologues, oui, mais les psychomètres ne se tromperont pas de but, ils aideront la société et les patients d'après les grilles qui ont fait leur preuve, en les sélectionnant comme relevant d'un traitement chimique, ou de cinq, dix, vingt séances de TCC, ou de séances de redressement du comportement (?) tous moyens utiles et connus qui les ramèneront de deux déviations standards, à une déviation, voire à la norme.

Aura-t-on soulagé leurs souffrances ? Il se peut que oui, et l'entourage et la société pourront du même coup être rassurés que quelque chose a été fait. À quel prix ? Si c’est une question de monnaie et si on juge à court terme, pour un coût moindre dans une grande part des cas. S’il s’agit de valeur morale et d'humanité, en comptant que la souffrance humaine c'est chèrement payer et que la soulager est le but à atteindre, et cela dans le long terme, alors il se peut que le psychomètre ne puisse jamais remplacer le psychologue.

À qui les psychomètres seront-il particulièrement utiles ?

A ceux qui les auront formés puisqu’il vont reproduire, à l’identique toujours, ce schéma qui a été établi par les chercheurs depuis une vingtaine d’année en sciences comportementales et cognitives. Ces sciences ont par ailleurs un intérêt certain dans la compréhension du fonctionnement de l’être humain et nous ne remettons absolument pas en cause leur place dans la recherche mais nous déplorons et contestons leur place en lieu de la clinique actuellement dans le cursus des étudiants de nombreuses facultés. Donc ces psychomètres seront utiles à ceux qui les auront formés, à ceux qui les paieront et à tous ceux qui auront besoin de renseignements sur les potentiels d’une personne à rester dans la norme ou à avoir facilement des inflexions.

Quant au psychanalyste, pour finir, sait-on encore dans toutes les facultés qu’il existe? Donne-t-on encore le moyen aux étudiants en psychologie de savoir qu’à côté de cet homme mesurable et chiffrable de la cognition, il y a un homme de l’inconscient, un homme que nulle mesure ne pourra jamais embrasser, un homme que seuls les mots ont forgé. Cet homme de l’inconscient aujourd’hui on ne veut pas qu’il puisse exister, on ne veut pas le reconnaître car il dérange trop par l’absence de mesure qui le caractérise et qui l'empêche d'être mis dans les grilles. C’est l'homme qui restera toujours en dehors, alors quelque chose qui n’est pas rangé, dans une société de l’ordre, ça n'existe pas.

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