dimanche 2 décembre 2007

La dépression, une maladie du genre humain (dans "ELLE")


« Tout le monde passe par des états d’humeur dépressifs »

Jacques-Alain Miller, psychanalyste et directeur de la revue « Le Nouvel Ane ».

« “Vous avez des hauts et des bas ? Alors, vous êtes bipolaire. C’est une maladie, vous en avez pour la vie, ce n’est pas grave, c’est comme le mal de dos, ça se soigne, il y a des pilules juste pour ça.” Voilà ce qu’on entend de plus en plus souvent chez son médecin. A la radio, à la télé, dans un guide qui sera tiré à 1 million d’exemplaires, une propagande massive déferle. Les campagnes anti-dépression, c’est un danger public. Le devoir des psychanalystes, c’est d’alerter l’Etat, les médias et tout un chacun. Dans le monde entier, une partie de la bureaucratie sanitaire a entrepris de médicaliser la tristesse, et de faire vendre à tout-va les antidépresseurs, des médicaments parfois utiles, mais d’usage délicat, que seuls des spécialistes devraient pouvoir prescrire. Euphorie obligatoire. Les pilules du bonheur ! Comme dans les romans de science-fiction. Un coup de pompe, et hop, on en prend pour la vie. On a pourtant démontré scientifiquement – mais oui ! – qu’avoir des moments de tristesse est parfaitement normal. 95 % des gens connaissent chaque année une moyenne de six baisses de l’humeur ou de l’estime de soi. Les 5 % restants ont bien de la chance. Mais sont-ils normaux ?

Les états d’humeur dépressifs existent chez tout le monde. Si on pose là-dessus un diagnostic clinique de dépression, autant dire que la dépression est la maladie du genre humain. C’est bien possible, mais alors, comment en guérir sans faire disparaître l’homme, et la femme par-dessus le marché ? Certains rêvent d’ailleurs de nous ôter toute aspérité, que la biotechnologie permettra demain de nous débarrasser de la sexualité, de la dépression... Tous unisexe, un sourire figé sur le visage. Et, surtout, qu’on ne se parle plus, ça ne fait que des malentendus. Les hauts fonctionnaires enfiévrés par la chasse mondiale à la dépression ne savent pas ce qu’ils font. Leur discours cherche à s’insinuer au tréfonds de chacun, et à recouvrir de sa bave nos émotions les plus intimes. Non, pas ça ! C’est l’horreur. En plus, ils haïssent la psychanalyse, c’est logique : ils rêvent de nous éradiquer en même temps que la dépression. Eh bien, on va voir ce qu’on va voir ! »

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