jeudi 17 janvier 2008

Situations des personnes atteintes d'autisme : avis 102 du CCNE

COMMENTAIRE DE L’AVIS N° 102 « SUR LA SITUATION EN FRANCE DES PERSONNES, ENFANTS ET ADULTES, ATTEINTES D’AUTISME » DU 8 NOVEMBRE 2007, DU COMITE CONSULTATIF NATIONAL D’ÉTHIQUE POUR LES SCIENCES DE LA VIE ET DE LA SANTE

par le Dr Marie-Elisabeth SANSELME-CARDENAS

INTRODUCTION

Ce rapport très documenté, très exhaustif, qui considère à la demande des familles, les autistes et leurs familles dans la situation constatée jusqu’à 2007, se place du point de vue de l’éthique c’est-à-dire de ce que chacun doit faire en vertu de valeurs qu’il a choisies comme conformes à sa notion du bien, et de celles que l’État et la société défendent dans les déclarations fondatrices et législatives. Sur la plupart des points, ce rapport répond à ces objectifs et nous ne pouvons que nous associer au constat de pénurie d’accueil et d’abandon que ressentent les familles d’autistes en plein XXIème siècle dans une démocratie occidentale dont la devise est « liberté, égalité, fraternité » et où la fraternité peut leur sembler à juste titre exclue.

Cependant, dans ce cadre précisément, le rapport peut surprendre par certaines affirmations ou de graves oublis.

Nous souhaitons dans un but réellement éthique devant la détresse et l’urgence dans lesquelles se trouvent les familles, et dans un but de rassemblement seul garant d’une efficacité à brève échéance, reprendre dans un premier temps les points qui nous paraissent bien étudiés et bien décriés, pour nous associer à cette dénonciation. Le travail et l’énergie déployés pour organiser les Journées sur l’autisme à Clermont-Ferrand, sous le titre « Le dialogue avec l’autiste » sont le témoignage de cette volonté ancienne, active et toujours aussi forte d’aider les autistes et leurs familles dans le présent sur le plan pratique avec les institutions du RI3 et dans le présent et le futur par la recherche constante sur le plan de la clinique analytique.

Ensuite, nous verrons les points qui peuvent surprendre et même offenser certains cliniciens, qui ont consacré leur vie à l’application de cette volonté que nous venons de définir.

Dans chaque cas, nous verrons comment essayer de concilier les points de vue dans l’objectif unique que doit être la diminution de la souffrance dans la vie des autistes, et en disant cela nous avons déjà fait un choix, comme nous allons le montrer, et dans celle de leurs familles.

Enfin pour conclure, nous verrons que nous avons à nous enseigner des autistes.

[Lire le commentaire linéaire de l'avis 102 du CCNE : "sur la situation des personnes atteintes d'autisme"]

POINTS COMMUNS ET GRAND MÉRITE DE L’AVIS

PRÉSENTATION JUSTIFIÉE DE LA SITUATION DES AUTISTES ET DE LEURS FAMILLES COMME INSUPPORTABLE

« Les personnes, enfants et adultes, atteintes de syndromes autistiques et leurs proches sont aujourd’hui encore victimes en France d’une errance diagnostique, conduisant à un diagnostic souvent tardif, de grandes difficultés d’accès à un accompagnement éducatif précoce et adapté, d’un manque de place dans des structures d’accueil adaptées, de l’impossibilité pour les familles de choisir les modalités de prise en charge des enfants, de la carence de soutien aux familles, et de la carence d’accompagnement, de soins, et d’insertion sociale des personnes adultes et âgées atteintes de ce handicap ».

« Le diagnostic doit être le plus précoce possible afin de permettre aux parents de faire accéder le plus rapidement possible leur enfant à une prise en charge éducative adaptée, et, grâce à une meilleure connaissance de la nature du problème qui cause sa souffrance, de s’occuper le mieux possible de leur enfant. C’est notre capacité collective à inscrire une interprétation rigoureuse des développements de la recherche scientifique dans une approche respectueuse de la dignité humaine, et qui vise à soulager la souffrance au lieu de la provoquer, qui devrait être le garant contre les risques de dérives d’ordre scientifique et éthique. »

« La famille elle-même doit être accompagnée dans sa propre souffrance et ses grandes difficultés. »

« Un accompagnement doit être apporté à la famille entière, non seulement aux parents, mais aussi aux autres enfants. »

« L'enfant atteint de syndrome autistique deviendra, ou est devenu un adolescent puis un adulte.

Des critères d'âge trop stricts obligent à des changements de structure indifférents aux spécificités de chaque situation individuelle et conduisent le plus souvent à des situations dramatiques de prise en charge par des familles ne disposant pas de soutien adapté, ou d’institutionnalisation dans des structures non adaptées où ces personnes, adultes ou âgées, vivent dans une situation d’abandon. »

Nous sommes d’accord que dans notre pays la difficulté est grande à admettre les différences, à rechercher le mélange ne serait-ce que des générations, des personnes âgées et des personnes faibles ou handicapées de manière générale.

« Les applications possibles [des] recherches pour les personnes atteintes de syndromes autistiques doivent être pensées, à chaque fois, dans le contexte d’une réflexion scientifique, médicale, et éthique qui place la personne handicapée ou malade au coeur des préoccupations. »

« Seule une petite minorité des enfants atteints de syndromes autistiques pouvaient trouver une place dans ces structures d’accueil en 2004. En 2006, le Plan Autisme 2005-2006 devait créer 750 nouvelles places supplémentaires pour les enfants : ce nombre est loin de permettre de résorber le manque de place, étant donné qu’il ne correspond qu’à une petite minorité des enfants qui naissent chaque année et qui développeront un trouble envahissant du développement. Le manque dramatique de structures d’accueil et l’absence le plus souvent de choix concernant les modalités de prise en charge, et notamment de possibilité de prise en charge éducative, conduisent dans les faits, à l’égard des familles, à un déni pur et simple d’accès au choix libre et informé. Une véritable réponse implique de mettre en place les conditions d’un profond changement dans nos comportements et nos mentalités concernant l’accompagnement, l’accès aux droits fondamentaux et l’insertion sociale des personnes les plus vulnérables. »

Le changement des mentalités est un objectif urgent que doivent essayer d’atteindre les forces éducatives de notre République mais l’urgence de la situation des autistes est encore plus grande et doit se faire avec le contexte actuel par l’attribution de moyens à la hauteur de la pénurie à compenser.

Les causes génétiques, vaccinales, liées à l’environnement, sont bien remises à leur place dans cet avis. Il reste à insister sur le fait qu’il faut être vigilent sur le marché porteur de la douleur des familles déjà atteintes et de leur peur de récidive dans la fratrie, devant toute information sur le risque génétique et la mise sur le marché de tests pour le diagnostic précoce de l’autisme, alors que le consensus existe à ce jour pour dire que ce diagnostic, s’il doit être le plus précoce possible, ne peut être que clinique.

POINTS CHOQUANTS DE L’AVIS D’UN CCNE

POINTS DE DÉSACCORD QUANT À LA CONSIDÉRATION DE L’AUTISTE

POINTS CHOQUANTS DE L’AVIS D’UN CCNE

Le récit de l’histoire d’errance de l’autisme tel qu’il est fait dans l’avis est partial et réducteur et ne peut conduire qu’à une augmentation du conflit et de l’abord dualiste délétère que l’avis dit vouloir dénoncer.

Pour des personnes qui regrettent que l’on se soit contenté de querelles théoriques en France au lieu de faire progresser la cause de l’autisme, ne dirait-on pas qu’en passant sous silence la période de 1950 à 1980 on cherche à mettre en cause et plutôt même à accuser la psychanalyse globalement et encore actuellement en particulier en portant un déni sur l’existence et l’œuvre théorique et clinique de Jacques Lacan en France et à sa suite en France et dans le monde ?

Il nous paraît indispensable de reprendre cette partie de l’avis, à la lumière des données et du vécu de ceux qui ont connu et étudié la période critiquée et la période passée sous silence en France. C’est un préalable à la mise en commun de toutes les énergies prêtes à se battre pour faire avancer la considération de l’autisme car le moindre des réquisits pour pouvoir agir est la reconnaissance par l’Autre, et les psychanalystes impliqués dans ce combat depuis trente ans ne peuvent supporter comme tout être humain leur inexistence dans cet avis, cela des personnes investies dans l’éthique au plan personnel comme au second degré par la société, ne peuvent que le comprendre et s’attacher à le rectifier dans une volonté de transparence et de vérité. Nous pensons que ces personnes sauront aller constater sur place, dans les institutions du RI3, et en lisant les travaux des Journées sur l’autisme de Clermont-Ferrand, intitulées « Dialogue avec l’autiste », et se rendre compte par eux-mêmes et par ce que leur diront les familles, que la psychanalyse n’a cessé par sa recherche clinique active, d’aider les autistes et leurs familles.

Le plus choquant bien sûr c’est que ce rapport d’un Comité d’Éthique se permettre de porter une accusation actuelle contre la psychanalyse en général à travers une seule interprétation d’une seule théorie psychanalytique d’un groupe donné de psychanalyse, à une époque donnée, dans un pays donné.

Dire « Si la vision psychanalytique de la cause de l’autisme a été, et est toujours trop souvent encore dans notre pays, cause de souffrance pour les enfants et leurs familles, certaines visions neurobiologiques réductrices de l’enfant peuvent être aussi sources de souffrance », c’est une opinion aussi réductrice sur la psychanalyse que ce que le texte prétend décrier sur certains comportements et c’est porter une accusation grave sur tout un groupe de professionnels honnêtes et compétents et sur une thérapeutique dont la recherche clinique ne cesse de progresser et de répondre aux nouvelles formes des symptômes. C’est de plus écarter de principe une des prises en charge dont l’essence même étant une prise en compte du sujet comme singulier et unique, correspond le mieux à tout ce qui n’a cessé d’être défini pour aider l’autiste et sa famille, à savoir « une prise en charge individualisée, précoce et adaptée ».

Il nous paraît indispensable que le Comité fasse cas du reproche amer que nous faisons et dise de manière claire, qu’il considère de nos jours la psychanalyse comme un moyen des plus aptes dans la prise en charge singulière de la souffrance de l’autiste et de sa famille et non qu’il avance une seule fois dans tout l’Avis et en fin de réquisitoire, que « commencent à se substituer de manière encore trop minoritaire, des formes intéressantes de participation de psychanalystes » ce qui est reconnaître la diversité dans la psychanalyse et son évolution, alors pourquoi ne pas reconnaître les formes de psychanalyse actuelle qui .se sont attachées et acharnées à aider les autistes et leurs familles, et faire cas de leurs résultats en les constatant auprès des intéressés ?

L’autre point qui peut choquer quand on s’attache à la souffrance que manifeste l’autiste dans son quotidien et qui fait tellement souffrir en conséquence sa famille, c’est que l’Avis ne donne pas la priorité, l’extrême priorité à la diminution de la souffrance du sujet autiste sur toute autre considération y compris celle de la souffrance de cette famille, y compris sur la demande de ramener leur enfant dans la société.

Après avoir titré un paragraphe « quand une théorie scientifique qui vise à comprendre la souffrance de l’enfant, provoque la souffrance des parents et des enfants », le Comité ne craint pas de reproduire ou n’a pas vu qu’il pouvait reproduire une erreur qu’il dénonce, en ne cherchant pas à diminuer, avant tout, la souffrance de l’autiste, ce qui par là même, diminuera celle de ses parents et de sa fratrie.

Il ne s’agit nullement d’évaluer la souffrance, ce que nous récusons par principe, la douleur morale ne s’évalue pas, elle est, il ne s’agit pas de la hiérarchiser, il s’agit d’aider d’emblée les plus démunis face à elle et parallèlement leur famille mais pas l’inverse car c’est alors ne pas considérer l’autiste et le choix qu’il a fait, c’est prendre le parti de l’exclure même si c’est dans l’intention de l’aider.

Cette priorité si on peut s’exprimer ainsi dans un domaine aussi douloureux, sera présente et servira de seule mesure, dans tous les points de désaccord que nous avons relevés.

Ce rapport est demandé par des familles d’autistes alors que les enfants autistes ne sont pas représentés, on pourrait davantage demander l’avis d’autistes qui sont sortis de leur isolement, avoir différents points de vue, constater des sorties différentes pour chacun mais qui ont été possibles, pas seulement, mais c’est déjà bien, le témoignage de ceux qui ont écrit un livre à leur sortie.

POINTS DE DÉSACCORD QUANT À LA CONSIDÉRATION DE L’AUTISTE

Avec la considération par la psychanalyse après Lacan, du choix fait par l’autiste, de refus d’entrer dans le langage, on voit que la sortie est possible, certes pas gagnée d’avance mais possible, c’est le grand espoir que les familles peuvent garder, partir de ce choix pour aller à la rencontre de ce sujet et espérer une sortie. Mais pas une sortie programmée à la place de l’autiste et au prix de l’augmentation de sa souffrance. La contradiction entre la prise en compte de la singularité et l’existence de plans ou de méthodes préfabriquées, anticipées est manifeste. S’il s’agit de plans, il ne peut s’agir que de plans financiers à mettre rapidement en oeuvre pour aider à soulager au plus vite les autistes.

Oui, il est une possibilité de sortie de l’autisme, sortie variable, imprévisible et dont les modalités ne doivent surtout pas être prévues ni décidées d’avance pour chaque autiste ou chaque famille car c’est encore mettre ces enfants et ces familles devant une gageure et un nouveau risque de souffrance par cette situation d’échec possible, de peur d’avoir mal fait à la moindre variation de ce que l’on obtient, et cela, au prix d’un choix qu’on a fait à leur place ou avec eux, mais en tout cas sans considération de ce qui est la réalité inconnue de ce sujet et qui devrait venir, nous insistons, avant toute autre considération pour diminuer sa souffrance.

La « participation active des parents et des familles » que réclame l’Avis, doit donc être un choix de chaque famille au cas par cas et une demande claire de celle-ci surtout au début, avec des changements possibles par la suite en fonction des signes d’ouverture de l’autiste, et les familles ne doivent pas être culpabilisées de ne pas pouvoir faire face à une prise en charge au domicile. Il faut se poser la question pour chaque cas: si c’est un échec pendant un temps, est-ce que ce n’est pas culpabiliser la famille deux fois que de l’avoir mise dans une situation où l’échec suivait et est-ce que ce n’est pas une façon de la mettre un peu plus en difficulté au risque de la détruire?

Le rapport parle en introduction de la définition de l’autisme comme « handicap fréquent et majeur » ce qui est en contradiction toujours dans cette introduction avec la notion de pluriel des autismes et « une très grande hétérogénéité » ou de « capacités intellectuelles hors du commun parfois associées » d’où l’invitation à utiliser les termes « syndromes autistiques » ce qui peut convenir mais ce qui laisse penser que le mot de handicap n’est pas adapté pour parler de l’autisme, de même que « l’existence d’une relative autonomie à l’âge adulte », qui attire l’attention sur une sortie possible de l’autisme qui est vraiment très difficile à définir. Par ailleurs, le rapport le rend synonyme de « troubles envahissants du développement » ce qui est une sorte de choix d’étiologie de l’autisme alors que l’avis dit reconnaître l’absence d’étiologie connue actuellement.

On parle d’un accompagnement et d’« une prise en charge individualisée précoce et adaptée ». Chaque mot est important mais « individualisée » est bien une façon de laisser son entière place à la psychanalyse puisqu’on sait que si une méthode est attachée à l’individu dans sa singularité c’est bien la psychanalyse. C’est dommage que plus loin cela ne soit pas exprimé dans des phrases claires sur l’évidence de l’utilité de cette méthode.

Quand on parle de l’inscription à l’école, il nous semble qu’il faut une grande prudence, car est- ce d’une école vraiment adaptée dont on parle? Est-ce d’une école qui leur permettrait de moins souffrir tout en avançant dans leur socialisation, si elle est possible à ce moment-là? Est- ce que ce n’est pas plutôt un vœu pieux ou une prise de risque inconsidérée que de souhaiter cette socialisation avant même la guérison de leur souffrance ou du moins l’atténuation de celle-ci ? Est ce qu’il ne faut pas mettre absolument la priorité sur l’autiste lui-même, son isolement douloureux et le choix qu’il a fait plutôt que la satisfaction des parents et de la société qui bien sûr sont légitimes et bien sûr sont ce vers quoi il faut tendre, mais encore une fois, pas aux dépens de la souffrance de l’autiste ?

Nous ne pensons pas que l’usage des termes de « troubles envahissants du développement » et de « l’abandon de la théorie psycho-dynamique » apportent quelque chose pour soulager la souffrance des autistes au contraire, puisque c’est se donner une bonne raison de les mettre au travail, à l’exercice jusqu’à 40 heures par semaine avec des objectifs qu’on décide qu’ils doivent atteindre presque sous une forme de torture quand trop c’est trop, en tous cas avec de la souffrance. Comprendre qu’ils sont dans cette situation par un choix dont nous ne connaissons pas la cause et qu’ils ne connaissent pas eux-mêmes, en essayant de rentrer dans leur langage et dans leur monde, pour leur montrer une vie possible avec d’autres, c’est peut être une clé qui sans les heurter ni les traumatiser pourra leur permettre cette vie avec d’autres, petit à petit.

Quant au fait de « se révéler », c’est tout de même à « l’autre », c'est-à-dire à nous qui le pouvons, de faire les efforts, de faire le pas vers eux et non pas de les obliger, eux, à faire les pas qui viennent vers nous. Pour leur ouvrir une voie de sortie, il faut entrer dans leur langue, y trouver quelque chose de commun, quelque chose qui puisse faire lien, pour pouvoir faire ce que l’on souhaite tant, communiquer, et non les obliger eux à sortir manu militari ou presque de leur langage pour venir dans le nôtre.

Quand on parle de la remise en cause des clivages liés aux approches de l’autisme, et que l’on parle « d’une attitude ouverte, généreuse et respectueuse de la singularité », on parle précisément de ce à quoi la psychanalyse est attachée, de ce qu’elle recherche : établir « une confiance qui diminue sa souffrance et qui favorisera un comportement social plus élaboré », seule fois où c’est écrit nettement dans ces trente pages.

Pour le répéter, ce que fait la psychanalyse, actuelle ou moderne, n’ayons pas peur des mots, pour aider l’autiste, c’est reconnaître sa singularité en essayant d’entrer dans sa lalangue, et établir ainsi cette confiance dans le but premier, immédiat et principal de diminuer sa souffrance, seul moyen de pouvoir obtenir une réponse à nos demandes par la suite quel que soit le temps qu’on mettra à l’obtenir pourvu qu’on l’ait obtenue sans être responsable d’une quelconque augmentation de la douleur de vivre, quel que soit le but légitime recherché par ailleurs.

Quand à l’évaluation des différentes méthodes, c’est un réel problème puisqu’une évaluation ne peut se faire que sur une génération voire deux donc une évaluation à faire dans les cinq années qui suivent ne veut rien dire pour la vie d’un sujet ni même de sa famille. Être capable au bout de cinq ans pour l’enfant de mettre le couvert et de manger à table ne veut pas dire que sa souffrance soit moins grande ni qu’il ne décompensera pas après. C’est sur une vie d’autiste entière que l’on pourra tirer des conclusions et c’est encore probablement plein de pièges qu’il faudra tenter d’éviter dans l’interprétation, car une vie est ce qu’elle est, et personne ne peut se permettre de juger, à notre sens, si elle vaut la peine ou non d’être vécue, si elle a valu assez la peine, si elle a moins valu qu’une autre etc. C’est un problème éthique majeur que de se permettre de décider de la valeur d’une vie humaine.

Si le seul but de la vie c’est d’être capable de faire exactement ce que la génération précédente a décidé qu’il était bon de faire pour la génération suivante, alors on est tout de suite à côté de ce que toute une tradition philosophique et toute une tradition d’humanisme a pu penser et le mot d’éthique perd son sens. Si les droits des êtres humains doivent être les mêmes pour tous au sens et au vu de la loi, la façon de mener sa vie personnelle ne peut être qu’unique. Nous dénonçons pour ce qui touche à l’être humain, la « manie » du consensus, consensus qui, à notre sens, ne peut d’ailleurs s’entendre que d’être un consensus négatif, c'est-à-dire dans le recensement de ce qui est réellement délétère d’une façon générale ou dans un nombre de cas suffisamment grand pour que cela ne vaille pas le coup d’être tenté et même qu’il soit inadmissible de le faire. Le consensus est contraire aux besoins de chaque sujet, est contraire à l’application du cas par cas, le consensus positif pour exprimer ce qui est bien ou même bon pour la vie d’un être humain, n’existe pas.

CONCLUSION

De même que souvent en médecine c’est l’analyse du corps malade ou du corps qui dysfonctionne qui apprend les ressorts de la physiologie et les voies du fonctionnement naturel, permettant ainsi de chercher comment éviter de tomber dans le dysfonctionnement ou comment revenir par un traitement au fonctionnement normal, de même, pour une fois il faudrait que, en matière de psychologie ou de vie humaine, on s’inspire, comme cherche à le faire la clinique analytique de ceux qui ont fait des choix différents, pour mieux comprendre les lignes droites et les accidents d’un parcours de vie singulière. Aussi, ce serait un grand pas pour l’homme comme pour l’Humanité que de reconnaître les risques de l’éducation que nous donnons de nos jours à ceux qui sont considérés comme normaux en décidant souvent à leur place de ce qui doit être un parcours sans faute, en laissant seulement des rattrapages, quand ils existent, à ceux qui n’ont pas suivi la voie royale. Remettre en question le but de seule réussite sociale de notre éducation à l’occasion de la prise en compte de la souffrance particulière des sujets autistes, serait un grand enseignement de leur part, une avancée et une évolution bénéfique vers une éducation qui prenne une voie moyenne entre celle de la réussite sociale au prix du bonheur réel de chacun débouchant plutôt sur les conduites classiques de souffrance que sont les névroses d’autrefois, et celle de l’abandon de l’éducation, la déresponsabilisation des parents, leur démission et celle des institutions qui conduisent plutôt aux formes actuelles surprenantes de la souffrance que sont les conduites addictives, la violence, l’exclusion volontaire de la société, les actes de mutilation, par ceux-là mêmes qu’elle considère comme normaux. L’individualisme et la dépression, en dehors de la mélancolie, doivent tout autant être considérés comme des échecs de l’éducation, interpeller la société et lui faire reconsidérer son système éducatif et sa vision de l’être humain pour la mise en place de cette éducation.

Il est bien que les personnes les plus différentes nous enseignent pour guider les personnes moins différentes à se réaliser, certes, dans la société, mais pour elles-mêmes.

Dans les citations qu’utilise le rapport on peut lire : « Un enfant handicapé a un développement qualitativement différent, unique… ». C’est dire si l’évaluation chiffrée, quantitative a peu de sens et doit laisser la place à l’évaluation qualitative de la richesse d’une vie. Et il faut se rappeler que chaque enfant, même normal, est unique, et a un développement unique et cela seule la psychanalyse le reconnaît comme principe éthique et comme primum movens. Partir, au moment où on fait la rencontre avec lui, des lois inconscientes que le sujet s’est données pour commencer de construire le monde à sa manière, pour l’aider à sortir de son enfermement et lui permettre d’accéder à notre monde, c’est cela s’enseigner de l’autisme et c’est cela qu’il faudrait mettre en pratique pour tourner l’éducation vers une considération de l’être humain dans sa complétude constitutive aussi bien que dans sa finitude physique et métaphysique.

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