dimanche 11 novembre 2007

Préface à la Conversation de Milan, par Jacques-Alain Miller

Conversation de Milan animée par JAM le 28 octobre dernier. Le laboratoire du Champ freudien. Le Champ freudien se réinvente. Nouvelle identification, nouveaux modes d’intervention. Et 1, et 2, et 3 LNA.

CONVERSAZIONE DI MILANO

28 ottobre 2007, A cura di Jacques-Alain Miller

Redazione di Adele Succetti - Traduzione dal francese in collaborazione con Luisella Brusa e Olivia Causse d’Agraives

Prefazione - Gli scambi

La Conversazione

PREFAZIONE

J’ai trouvé ce texte hier soir, au retour du théâtre (un très beau Cid, avec des dictions parfaites). Je l’ai lu cette nuit, ce matin, j’ai enlevé dans mes propos quelques noms propres, une ou deux confidences sur mes contacts avec les pouvoirs publics, le reste est intact. Merci, Adele, Luisella, Olivia, je vous aime moi aussi.

Je ne crois pas nécessaire de passer par le papier, au temps où nous vivons - ce passionnant début du XXIème siècle, où de nouveaux démiurges préparent dans leurs chaudrons de nouvelles formes de vie, bien pires que les formes traditionnelles, avec les meilleures intentons du monde, bien entendu. En trois clics, ce signifiant sera répandu dans le Champ freudien en Italie, et à travers le monde, au moment où je terminerai cette préface.

Lisez, mes chers camarades, ceci en vaut la peine. Je le disais en ouvrant cette Conversation, et cela s’est avéré à la fin: c’est ici un laboratoire pour tout le Champ freudien. Enfin! enfin! Le Champ freudien se rapproche de son essence.

Un Champ, ce n’est pas une forteresse. Ce n’est pas un objet matériel. Ce n’est même pas l’objet (a). Je revois Lacan à Guitrancourt, penché sur sa haute table de travail, cherchant le titre de sa collection aux éditions du Seuil, et se levant pour me donner sa page griffonnée, où se détachait, encadré, le champ freudien.

Champ est à entendre au sens de la physique: c’est un espace défini d’interactions. Lacan l’a dit, et je l’ai repris jadis, si je me souviens bien, dans un éditorial d’Ornicar?, après avoir consulté le précieux Einstein et Infeld, L'évolution des idées en physique. Mais je ne vais pas rechercher ça maintenant. Je consulte Wikipédia. Cette définition me plaît bien: « En physique, le concept de champ est pratique pour modéliser les perturbations des propriétés d'un espace par une force (gravitation, électromagnétisme, etc). On parle alors de champ électrique, champ magnétique, champ électromagnétique ou champ gravitationnel. Ces champs existent sans support matériel (concept abandonné de l'éther), par contre ils nécessitent la présence de sources (localisées ou non). »

Oui, la force freudienne. Perturbant le champ « psychique », le champ épistémique, le champ social, le champ corporel aussi. Quant au champ freudien comme tel, il est ce qui résulte de l’interaction freudienne entre quoi? des masses, comme le champ gravitationnel? des charges électriques, comme le champ électromagnétique? Ce matin, je dirai: des sujets, ou plutôt des parlêtres, que l’on voit interagir à cœur joie dans cette Conversation.

Le résultat de l’expérience est une leçon pour tous.

Avant, un seul Institut, le fameux Istituto freudiano, créé le 14 septembre 1990 à Rome par Antonio Di Ciaccia et par moi-même pour parer aux conséquences de la loi Ossicini. On se souvient que le sénateur Ossicini, vice-président du Sénat italien, m’avait reçu en 1988 (ou 1989) de façon affable, vraiment famillionnaire, (Roberto Cavasola est son parent), ou plutôt sénattentionnée, dans son magnifique bureau du Palazzo Madama. Il avait écarté mes arguments d’un revers de main: oui, il y aurait une loi, ce serait sa loi, il était du sérail (psychanalyste de la SPI), et il savait que le bien public exigeait que l’état mette au pas cette bande d’irresponsables qu’il connaissait de l’intérieur - mais si vous, M. Miller, vous formez un Institut avec vos amis, il sera reconnu, vous avez ma parole. Notre Istituto fut en effet le second établissement reconnu en Italie. Selon l’immortelle formule de Sollers, tout était pour le mieux dans le pire des mondes possibles.

Les choses changèrent insensiblement. Lorsque notre excellente collègue Davanzo obtint la reconnaissance de son Institut, il devint clair pour tous que les critères n’étaient plus ceux du début: l’état était devenu compréhensif, point trop regardant, et même coulant. Cela aurait pu être pour nous un instant-de-voir. Mais on ne vit rien, on continua comme devant. Résultat: la création d’un second Institut par six des nôtres, création entreprise à l’insu de tous, et révélée seulement le fait accompli, le 9 octobre dernier par un mail. On allait tout droit à un scénario hyperclassique: les officiels, les rebelles; les officiels devront-ils céder aux rebelles? Les rebelles seront-ils mis au pas, voire expulsés, par les officiels? On trembla dans les chaumières. Je fus d’emblée confiant, car l’instant-de-voir s’était pour moi produit. Le temps-pour-comprendre fut occupé par les « scambi » ici intégralement reproduits, et qui témoignent de la vivacité et de la qualité de la réflexion stimulée par l’événement: nous avons tous l’air lents et patauds à côté de nos collègues italiens. Le moment-de-conclure arriva avec la Conversation elle-même, le 28 octobre, au Palazzo delle Stelline.

J’annonce à la fin de la Conversation un Communiqué n°8. Le soin du Nouvel Âne (LNA) m’en a fait différer la rédaction. Est-il encore nécessaire, maintenant que nous avons ces Actes? Nous sommes sortis du dilemme par le haut, en pensant hors de la boîte: non pas un Institut et son envers, son jumeau, son frère ennemi, avec tout le transitivisme propre au stade du miroir (Dégénéré! — Toi-même! — Abuseur de transfert! — Regarde-toi dans la glace!) mais un, deux, trois, quatre, vingt Instituts. Nous voulons de multiples start-up. En somme: Milan, le Champ freudien, Silicon Valley de la psychanalyse.

Il nous faut maintenant un LNA italien, qui ne soit pas la traduction du français, mais un magazine italien, utilisant certains matériaux français, ou espagnols, car il nous faut aussi un LNA espagnol. Je vais les créer, je les dirigerai, les éditerai, avec ceux qui voudront. Cela ajoutera une nouvelle dimension au Champ freudien. Rendez-vous en février à Milan et à Barcelone. Pour l’Amérique latine, rendez-vous au Congrès de l’AMP à Buenos Aires.

Le moment est venu pour le Champ freudien d’assumer sa mission en ce monde. Dans la psychanalyse, nous avons « reconquis » tout ce que nous pouvions reconquérir. C’est vers la société qu’il convient maintenant de se tourner résolument, non pour apporter des vérités toutes faites, celles que nous aurions élaborées dans nos cabinets d’analystes (rions!), mais pour entrer, nous, dans la Wirklichkeit de l’époque, et nous y réinventer.

Tout commence ici, maintenant, et avec nous.

Paris, le 10 novembre 2007, midi

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